Questions de genres


Dans l'introduction à "mon histoire familiale" j'évoquais le travail de Marine Bretin-Chabrol sur "la naissance et l'origine ; les métaphores végétales de la filiation dans les textes romains" et la compréhension que cela permettait de la manière dont les femmes sont peu prises en considération en matière de généalogie. L'article publié par "Clio" peut être lu sous le titre "La botanique antique et la problématique du genre" clio.revues.org/9276 .

 

Son livre, refonte de sa thèse :


Certaines métaphores végétales de la filiation nous sont familières en français : on parle de «racines » ou de « branches » familiales, on se déclare parfois « de souche », et le schéma qui permet de représenter notre parentèle sous la forme d'un arbre généalogique nous paraît un accessoire indispensable à toute enquête portant sur les origines d'un nom ou d'une lignée. Pourtant, ces images ont une histoire, et les métaphores banales que nous utilisons véhiculent un discours sur la filiation qui met en question les pratiques réelles et les institutions légales. 
L'étude du vocabulaire que les Romains empruntent à la terminologie botanique ou agricole pour l'appliquer à des relations de filiation ou d'alliance éclaire la dimension idéologique portée par ce lexique : penser l'adoption en terme de « greffe » ( insitio, insitiuus, inserere), la filiation légitime sur le modèle de la reproduction à l'identique que permettent le bouturage ou le marcottage ( propago, suboles), le mariage sur le modèle d'une coopération complémentaire entre la vigne et le support vivant d'un arbre ( maritare, maritus) contribuent à définir la lignée comme un ensemble organique, une stirps, dont l'identité perdure à travers le temps, incarnée successivement par chacun de ses membres. A travers ces métaphores, un modèle emprunté à la nature vient ainsi légitimer l'ordre social conservateur protégeant les grandes familles de lanobilitas romaine. 
L'objet de cette étude relève donc à la fois de la lexicologie (saisir les implicites d'une métaphore lexicalisée), de l'anthropologie (identifier un discours sur la filiation qui se démarque des pratiques et du droit romains) et de la littérature latines (repérer les contextes rhétoriques et génériques de l'emploi de ces métaphores), et propose plus généralement une réflexion sur la place que chacun est prêt à reconnaître à la nature ou à la culture dans l'établissement d'une filiation. L'enquête se fonde sur la lecture de textes littéraires, agronomiques et juridiques produits en latin entre le IIe siècle av. J.-C. et le IIe siècle apr. J.-C., éclairés si nécessaire par l'examen de textes grecs de référence.