Roland Flacsu est revenu                                            d'Auschwitz...

Le procès Coindat

 

Mon père a survécu à Auschwitz dans des conditions que j'ai expliquées plus haut (voir Roland Flacsu déporté à Auschwitz).

Il arrive en France le 7 juillet 1945.

Il va passer à Paris ; sa cousine Pierrette se souvient de son arrivée cité Magenta.

De retour à Lyon en juillet 1945 - un peu plus d'un an après son arrestation - il récupérera son emploi, son appartement rue de Créqui et une partie des meubles et objets qui avaient été accaparés tout cela donnant matière à des récits assez épiques.


Les employés du magasin avaient partagé entre eux ses objets personnels (il mentionnera en particulier un stylo auquel il était particulièrement attaché et que j'ai donné plus tard à Alexandra).


Son appartement rue de Créqui avait été réquisitionné et attribué à un fonctionnaire de la Préfecture qui ne voulait pas le laisser ; un article d'un camarade dans un journal permettra de régler rapidement le problème. Je ne suis pas encore parvenu à retrouver cet article, la presse était très abondante à Lyon en 1945.


Quant à ses meubles, une voisine avait suivi en vélo et identifié le brocanteur qui en avait pris possession après son arrestation ; il nous a raconté qu'il s'était rendu à l'entrepôt de ce "commerçant" qui voulait bien lui vendre ses propres meubles et objets ; il récupéra le tout en le menaçant d'un revolver !


Malheureusement la plupart de ceux qui auraient pu m’apprendre des choses ont disparu.

 

Je me souviens bien de Gérard Klebinder et de sa femme qui a été un témoin important lors du procès de Barbie, cherchant Claude Haguenauer, j’ai pu faire la connaissance de sa fille  Evelyne Haguenauer, elle connait à propos d’Auschwitz un peu les même choses que moi…. 

Il y avait un témoin de l’arrestation des Flacsu.

document de 1953 conservé au BAVCC à Caen
document de 1953 conservé au BAVCC à Caen

Mais les hasards des recherches apportent parfois des surprises.

A force de rencontrer des personnes, de poser des questions, de chercher dans toutes sortes de directions, j'ai eu des informations complètement nouvelles pour moi.


J'ai appris qu'après la Libération une personne avait été poursuivi par la justice de l'épuration à propos de cette affaire.

 

Demande de consultation du dossier judiciaire :

 

J'ai donc demandé aux Archives départementales du Rhône de pouvoir consulter le dossier d'instruction et le jugement rendu par la Cour de Justice de Lyon. Je n'ai obtenu l'autorisation de consulter que trois des pièces de ce dossier. Le recours que j'ai tenté devant la CADA (Commission d'Accès aux Documents Administratifs) n'a pas été couronné de succès.

 

Ce que j'ai pu obtenir m'a appris déjà des choses nouvelles.

En outre j'ai appris l'existence d'une personne importante, Odette Alexandre et j'ai pu chercher à la retrouver. Malheureusement Odette Alexandre est morte en 2012.

J'ai pu trouver l'une de ses filles, Francine, et outre le plaisir d'enrichir le cercle familiale nous avons pu mieux comprendre cette histoire.


Photo communiquée par Francine B. prise à "Lyon plage" sans doute l'été 1940 ; allongé Roland, à droite Rose, en face Odette Alexandre, l'enfant est Arlette qui a environ 10 mois.
Photo communiquée par Francine B. prise à "Lyon plage" sans doute l'été 1940 ; allongé Roland, à droite Rose, en face Odette Alexandre, l'enfant est Arlette qui a environ 10 mois.


Qui était Odette Alexandre ?

Odette Alexandre était la fille d'Achille Alexandre et d'Alice Israël. Achille Alexandre était le frère de Clotilde Alexandre, la mère de Rose Jacob.

Odette est donc la cousine germaine de Rose.


Que savons-nous de nouveau ?

 

Odette Alexandre habitait avec ses parents et son petit frère (né à Lyon en 1943) au 41 de la rue de Créqui, tout près de l'appartement des Flacsu. Le 20 juin 1944, Odette Alexandre est venue chez les Flacsu et a passé une partie de l'après-midi avec sa cousine Rose. Quand elle a décidé de rentrer chez elle, l'ascenseur était occupé et elle a pris l'escalier. Elle a vu que l'ascenseur était utilisé par des Miliciens. Odette est sortie et elle est restée à proximité. Un peu plus tard elle a vu les Miliciens repartir en emmenant la famille Flacsu.

 

Peu après c'est le père d'Odette, Achille Alexandre et son petit frère Claude qui a un an et demi, qui sont arrêtés. Ils seront déportés par le convoi 78 qui part directement de Lyon et assassinés à Auschwitz.


Odette Alexandre dépose une plainte :

 

Le 9 octobre 1944, après la Libération, Odette Alexandre se présente au Commissariat de police des Brotteaux. 

Au Commissaire de police, Odette Alexandre déclare que ses cousins ont été arrêtés et déportés en Allemagne fin juin dernier, que le 20 août, une voisine Madame Boiron a vu déménager le mobilier, qu'elle a suivi à bicyclette les voitures de déménagement qui se sont rendu à l'entrepôt d'un marchand de meubles... Elle indique que Madame Boiron a téléphoné au commerçant pour lui indiquer que les meubles en questions appartenaient à des israélites arrêtés par la police allemande et l'a mis en garde sur la conduite qu'il avait à tenir.

Odette Alexandre donne ensuite une description rapide du mobilier.


La police enquête :

 

Suite à la plainte d'Odette Alexandre, le Commissaire de police Redt a convoqué et entendu Monsieur Raymond Rançon, marchand de meubles, lequel a indiqué avoir acheté les meubles en question le 21 août à une demoiselle Coindat Yvonne qui lui a déclaré être chez elle et a présenté une carte d'identité n° 2670. Le prix fixé a été de 60.000 francs payés en espèces à l’enlèvement, la demoiselle Coindat ayant refusé le payement par chèque.

Monsieur Rançon confirme que trois ou quatre jours après il a reçu un coup de téléphone d'une dame qui n'a pas voulu se nommer et qui le prévenait que le dit mobilier appartenait à des israélites arrêtés par les Allemands.

Il ajoute qu'il a aussitôt bloqué la totalité de ce mobilier dont il a dressé aujourd'hui un inventaire en présence de Mademoiselle Alexandre et de l'Inspecteur chef Jouvenel de votre service....

 

 

Le 16 octobre 1944, l'Inspecteur de police Gaston Darribau communique son rapport qui indique que fin juin la nommée Coindat Yvonne Maria.... vint habiter au 27 rue de Créqui sous le nom de Leroyer. Elle occupa au 4e étage sans fournir aucune explication au régisseur ni au concierge l'appartement d'une famille israélite arrêtée quelques jours auparavant par la police allemande. Quelques jours après deux hommes, l'un Allemand répondant au nom de Frank et l'autre Français prénommé Paul vinrent également habiter dans l'appartement. Ils sont restés jusqu'au 21 août 1944 date à laquelle la nommée Coindat fit déménager tout le mobilier qui appartenait à la famille Flacsu, et disparut...

 

Les recherches effectuées dans l'agglomération lyonnaise pour découvrir Coindat Yvonne sont demeurées infructueuses.

 

A toutes fins utiles, ci-joint une photographie de l'intéressée que la concierge et d'autres voisins ont formellement reconnue comme étant la locataire du 27 rue de Créqui.

 

Cette photo a été trouvée dans le tiroir d'un des meubles vendus par Coindat Yvonne à Monsieur Rançon.... 

Le 14 octobre 1944, l'Inspecteur de police Gaston Daribeau avait entendu Monsieur Joseph Seveleder, concierge 27 rue de Créqui qui avait précisé que dans le courant du mois de juin 1944, à la suite de l'arrestation par la Gestapo de la famille Flacsu et Jacob composée de cinq personnes, une demoiselle disant se nommer Leroyer est venue s'installer dans l'appartement meublé situé au 4e étage de l'immeuble.... Je dois préciser qu'elle s'est introduite dans cet appartement sans l'autorisation du régisseur du fait qu'elle possédait les clés....

 

La police a poursuivi son travail, Yvonne Coindat a été arrêtée, jugée, condamnée et amnistiée.

Elle a été poursuivi par la justice en 1945-1946. Un procès a eu lieu, un dossier d’instruction été constitué, des témoignages recueillis.

 

La Cour de Justice de Lyon l'a condamnée le 5 février 1946 à 3 ans de prison pour trahison....

plusieurs demandes de grâce et de réduction de peine ont été rejetées puis elle aurait été graciée...

 

Je ne sais pas tout...

 

Je n'ai pu prendre connaissance que de quelques pièces du dossier ; il reste des questions auxquelles ces pièces ne permettent pas de répondre :

 

Yvonne Maria Coindat s’est installée dans l’appartement de mon père et de sa famille quelques jours après leur arrestation qui a eu lieu le 20 juin 1944 ; elle disposait des clés sans les avoirs obtenus du concierge ou du régisseur.

Sait-on quand exactement elle est entrée dans les lieux ?

Comment avait-elle eues les clés ?

Elle ou ses amis avaient-ils participé à l’arrestation ?

 

Mon père – qui est revenu seul d’Auschwitz – est arrivé à Lyon en juillet 1945. Il a après quelques péripéties, repris l’appartement, les meubles, la vaisselle…

A-t-il été entendu dans le cadre de la procédure engagée contre Yvonne Coindat, pendant l’instruction et/ou au moment où l’affaire est venue devant la Cour de justice ?

 

Odette Alexandre, la cousine germaine de Rose Jacob-Flacsu dont la plainte est à l’origine de la procédure, a-t-elle été amenée à intervenir à nouveau dans l’affaire ?

 

Le déclenchement de l’opération de police ayant entraîné l’arrestation de mon père et de sa famille, et consécutivement la mort de quatre personnes à Auschwitz (Arlette Flacsu, Rose Jacob, Jacques Jacob et Clotilde Alexandre) semble avoir pour seul motif le désir d’accaparer le logement (denrée rare à cette époque) du 27 rue de Créqui… Mon père dans les témoignages conservés par ailleurs explique que l’on lui a reproché de faire de la propagande anti-allemande, mais déclarait-il « je me suis rendu compte que la Gestapo n’était pas au courant de mon activité contre les forces d’occupation… ». Le dossier judiciaire permet peut-être de comprendre ce qu'il en a été....

 

L'ouverture des archives

C’est un bref arrêté, quelques paragraphes publiés dimanche 27 décembre 2015 au Journal officiel, qui facilitera la tâche des chercheurs et des historiens des années sombres. Le texte prévoit « la libre consultation, avant l’expiration des délais prévus [dans le] code du patrimoine, d’archives relatives à la seconde guerre mondiale émanant principalement des ministères des affaires étrangères, de la justice et de l’intérieur ».

Fort de cette décision, je suis retourné aux Archives départementales du Rhône pour demander, et obtenir sans difficulté, le dossier de la Cour de Justice de Lyon concernant Yvonne Coindat.

le "dossier Coindat" aux Archives départementales du Rhône
le "dossier Coindat" aux Archives départementales du Rhône

Bien qu'émouvant, ce dossier est bien mince pour répondre aux questions que je me posais.

Il semble bien que Odette Alexandre n'ait pas été appelée à fournir d'autres renseignements et que mon père n’apparaît à aucun moment dans la procédure...