La soie à Lyon, les canuts et le mouvement ouvrier lyonnais

Les débuts de la soie à Lyon

Dès 1419, Lyon était un lieu d'échanges important. Charles VII lui donna le droit d'organiser deux foires où se vendaient de nombreuses soieries en provenance de l'Italie. C'est à Lyon que Louis XI, par l'ordonnance du 23 novembre 1466, souhaitait créer la première manufacture de soie pour éviter ce qu'on appellerait aujourd'hui "la fuite des devises". L'accueil mitigé des magistrats de la ville donna ce privilège à la ville de Tours. Il fallut attendre François 1er pour que la ville de Lyon se voie accorder les mêmes privilèges, avec les Lettres Patentes du 2 septembre 1536. La corporation des ouvriers "en draps d'or, d'argent et de soye" est créée.

Au XVIe siècle, Lyon produit essentiellement des tissus unis. Il faut attendre Colbert au XVIIe siècle pour que Lyon devienne la ville de la création de la soie. En 1660, il y a à Lyon plus de 3.000 maîtres-ouvriers qui font travailler 10.000 métiers.

Le développement des magnaneries dans le Midi de la France assure la production de matière première nécessaire à la Fabrique de Lyon. Le succès sera au rendez-vous de Louis XIV à la Restauration sans discontinuer. Les dessinateurs en soierie sont appréciés, le plus illustre d'entre eux restant, pour cette époque, Philippe de la Salle, qui a travaillé pour Marie-Antoinette et Catherine de Russie. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les canuts étaient les ouvriers tisserands de la soie sur les machines à tisser. Ils se trouvaient principalement dans le quartier de la Croix-Rousse au XIXe siècle.

Au début du XIXe siècle, l'invention de Jacquard permettra à la fabrique lyonnaise de trouver une nouvelle impulsion. Durant tout le XIXe siècle, Lyon restera connue comme étant une ville de labeur, marquée par la révolte des canuts en 1831.

Les canuts, surtout par leurs révoltes, vont influencer les grands mouvements de pensée sociale du XIXe siècle, des saint-simoniens à Karl Marx, en passant par Fourier ou Proudhon.

cahiers de doléances pour les Etats généraux de 1789
cahiers de doléances pour les Etats généraux de 1789

Histoire

Depuis le XVIIIe siècle, la « fabrique » (c'est-à-dire l'industrie de la soie) a fait de Lyon la première ville ouvrière de France. Au début du XIXe siècle, l'arrivée des métiers à tisser de grande taille (tels que les métiers Jacquard) va profondément modifier le travail de la soie, mais également le mode de vie des ouvriers. Ces métiers à tisser sont trop hauts pour pouvoir être utilisés dans les logements des quartiers de Saint-Nizier, Saint-Georges et Saint-Jean.

 

Les anciens couvents de la Croix-Rousse, aux plafonds très élevés, sont parfaits pour héberger les premières mécaniques, mais très vite il faut de nouveaux immeubles pour y installer les tisseurs (ex. : le clos Dumenge). On construit les bâtiments en fonction de ces imposants métiers, qui ont en moyenne 4 mètres de hauteur, et on les dote de hautes fenêtres, les plafonds étant renforcés par des poutres en chêne.

un métier Jacquard (Maison des canuts)
un métier Jacquard (Maison des canuts)

La commune de la Croix-Rousse, qui n'est alors pas encore rattachée à la ville de Lyon, offre d'autres avantages : c'est une zone dispensée de l'octroi, à l'abri des inondations, et dont les loyers sont moins élevés que ceux de Lyon.

On assiste ainsi à la naissance d'un quartier manufacturier et surtout d'une catégorie professionnelle spécifique, les « canuts ».

On distingue alors deux catégories de travailleurs de la soie : les maîtres tisseurs (ou chefs d’atelier) et les compagnons, les premiers ne se distinguant que par le fait qu'ils sont propriétaires de leurs métiers à tisser.

 

Au milieu du XIXe siècle, on compte environ 80 000 chefs d'atelier à Lyon (dont la moitié à la Croix-Rousse) et près de 40 000 compagnons.

La révolte des Canuts

Les canuts, étant soumis à de rudes conditions de travail (ils travaillaient dix-huit heures par jour), se révoltent à de nombreuses reprises. Leur première révolte, en novembre 1831, est considérée comme l'une des premières révoltes ouvrières. Ils occupent Lyon aux cris de : « Vivre libre en travaillant ou mourir en combattant ! ». Le roi Louis-Philippe envoie 20 000 hommes de troupe et 150 canons pour réprimer l'émeute.


Le 14 février 1834, les canuts se révoltent de nouveau, en occupant les hauteurs de Lyon, et ils font face pendant six jours à 12 000 soldats, en mettant à profit les traboules, passages obscurs qui permettent d'aller d'une rue à l'autre à travers les immeubles.

Une troisième insurrection a lieu en 1848, au moment de la proclamation de la Seconde République. Elle est menée par la société ouvrière des « Voraces ». La république permettra aux sociétés ouvrières de sortir de la clandestinité en autorisant les associations de type mutualiste ou coopératif.

Les mêmes "Voraces" mènent une quatrième insurrection en 1849, en écho au soulèvement des républicains parisiens. Circonscrite sur le faubourg de la Croix-Rousse, elle est violemment réprimée.


Après les révoltes

 

Après les révoltes, certains soyeux cherchent à produire ailleurs qu'en ville. L'émigration des métiers vers les campagnes s'accentue. En milieu rural, le métier à domicile est un complément aux revenus de la terre. Les ouvriers étant disséminés, les donneurs d'ordre évitent le risque de rébellion.

À partir de 1850, les métiers mécaniques (inventés par Edmund Cartwright) vont progressivement remplacer les métiers à bras. Cette nouvelle technique, combinée à l'introduction de la machine à vapeur, entraîne le regroupement des métiers en usines.

En 1886, le conseil municipal de Lyon crée une marque aux armes de la ville permettant aux acheteurs de reconnaître une étoffe tissée à Lyon.

En 1894, dans Le Littré de la Grand'Côte, Nizier du Puitspelu écrit : « Lecteur, regarde avec respect ce canut. Tu n'en verras bientôt plus. ».

En 1901, à la Croix-Rousse, a lieu l'inauguration de la statue de Jacquard, « bienfaiteur des ouvriers en soie ». On dénombre alors 500 métiers mécaniques.

L'invention de la soie artificielle donne le coup de grâce à cette industrie.

 

Aujourd'hui, seuls quelques métiers à bras subsistent, sauvegardés par des musées nationaux ou des associations d'anciens tisseurs.

Du « mutuellisme » au mutualisme

Après la crise économique de 1825, les canuts et leurs compagnons, encouragés par des catholiques, ont créé des sociétés de secours mutuel, alors que les associations à caractère professionnel (syndicalisme) sont interdites par la loi Le Chapelier.

Les sociétés mutuellistes regroupent des ouvriers qui, contre une cotisation mensuelle, reçoivent des secours en cas de maladie, de chômage ou lors de leur vieillesse.

En 1828, des chefs d’atelier fondent le Devoir mutuel. Pour contourner les dispositions du Code pénal qui interdisent les coalitions et répriment les rassemblements de plus de vingt personnes, celui-ci est organisé sous forme de société secrète et subdivisé en ateliers de vingt membres.

En février 1832, les ouvriers, compagnons et apprentis créent leur propre structure mutuelliste : la « Société des Ferrandiniers ».

En 1871, avec l’établissement de la IIIe République, le mutuellisme devient mutualisme.


Presse ouvrière

Le 23 octobre 1831 (quelques semaines avant la grande insurrection de novembre 1831) paraît l’annonce de la création du premier journal ouvrier à l’initiative des canuts : L’Écho de la Fabrique.

On appelle alors, à Lyon, du nom générique de « fabrique » l'ensemble des industries dont le résultat est la confection des étoffes de soie.

L’Écho de la Fabrique publie ses huit pages hebdomadaires sur deux colonnes jusqu'en mai 1834 sans interruption. Divers journaux lui succèdent jusqu’aux lois répressives de 1835 qui en empêchent la parution.

 

Via L'Écho de la fabrique, les canuts vont ainsi s'informer, débattre, et tenter d'adapter le régime de la fabrique lyonnaise à l'évolution industrielle en cours, de manière à préserver leur autonomie et leur liberté.

"L'Echo de la Fabrique" premier hebdomadaire ouvrier, va paraître de 1831 à 1834
"L'Echo de la Fabrique" premier hebdomadaire ouvrier, va paraître de 1831 à 1834

Le conseil prud’homal

Le premier conseil des prud’hommes a été créé par Napoléon en 1806 (loi du 18 mars 1806). Il concerne alors uniquement l’industrie de la soie à Lyon.

Il va avoir une importance capitale pour les canuts et leur journal, L’Écho de la Fabrique, qui donnera chaque semaine des comptes rendus des séances.

Très vite, les canuts dénoncent le rôle du conseil des prud'hommes « favorable aux marchands fabricants » et réclament la parité négociants-tisseurs au conseil.

 

Les coopératives d’approvisionnement

En 1834, Michel-Marie Derrion expose les principes qu'il prône dans son ouvrage Le Commerce véridique et social.

Le 24 juin 1835, aidé de Joseph Reynier (chef d’atelier, saint-simonien et fouriériste), il ouvre la première coopérative française de consommation au 6 de la montée de la Grande-Côte (le numéro 95 actuel). Mais, après trois ans de fonctionnement, l’expérience de Derrion tourne court.

Les coopératives renaîtront cependant à la Croix-Rousse après 1848.

 

L'« esprit canut » aujourd'hui

Les Lyonnais, les « Croix-Roussiens » en particulier, se revendiquent fréquemment de l'« esprit canut». Les références y sont nombreuses.

 

Guignol

Laurent Mourguet, le créateur de Guignol, est né dans une famille de canuts. Lorsqu'il inventa sa célèbre marionnette, son public était composé d'ouvriers, issus des quartiers de Saint-Georges ou de la Croix-Rousse.

Ainsi, dans la pièce Le Déménagement, Mourguet fait de Guignol un canut désœuvré, habitant la Croix-Rousse. Dans de nombreuses autres pièces, même si sa profession varie (savetier, domestique, paysan), il utilise toujours un vocabulaire issu du parler canut.

 

Guignol est également habillé comme un canut. Sa coiffe ne laisse dépasser à l’arrière qu’une longue natte enrubannée, appelée salsifis, et qui a pour but d’éviter que les cheveux ne se prennent dans les fils des métiers à tisser.


Le Chant des Canuts

Le Chant des Canuts (ou Les Canuts) a été écrit en 1894 par Aristide Bruant. Le texte est inspiré de la version française de Maurice Vaucaire du poème Les Tisserands de Silésie de Heinrich Heine, telle qu'elle avait été insérée dans Les Tisserands de Gerhart Hauptmann, pièce mise en scène par André Antoine en 1893 au Théâtre-Libre à Paris dans une traduction de Jean Thorel. Interprété par Bruant à l'Exposition universelle de Lyon en 1894, Le chant des Canuts est devenu un célèbre chant de lutte, au même titre que Le Temps des cerises ou Bella ciao, et a été repris par Yves Montand, Leny Escudero ou plus récemment par Éric la Blanche.

 

Extrait : Les Canuts, publié dans le recueil Sur la route (1899)

Pour chanter Veni Creator
Il faut une chasuble d'or.
Pour chanter Veni Creator
Il faut une chasuble d'or.
Nous en tissons…
Pour vous, grands de l'Église,
Et nous, pauvres canuts,
N'avons pas de chemise.
        
C'est nous les canuts,
Nous sommes tout nus.
C'est nous les canuts,
Nous allons tout nus.
              
Pour gouverner il faut avoir
Manteaux ou rubans en sautoir.
Pour gouverner il faut avoir
Manteaux ou rubans en sautoir.
Nous en tissons…
Pour vous, grands de la Terre,
Et nous, pauvres canuts,
Sans drap on nous enterre.

 

C'est nous les canuts,
Nous sommes tout nus.
C'est nous les canuts,
Nous allons tout nus.
                                       
Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira.
Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira.
Nous tisserons...
Le linceul du vieux monde
Car on entend déjà
La révolte qui gronde.
  
C'est nous les canuts,
Nous n'irons plus nus.
C'est nous les canuts,
Nous n'irons plus nus.



A la fin du XIXe siècle et au XXe siècle, les mutations intervenues dans l'activité économique lyonnaise, font que les ouvriers de la chimie et de la métalurgie vont être au coeur des luttes sociales. Ce ne sont plus les canuts mais les ouvriers de Rhodia et de Berliet qui effrayeront les bourgeois lyonnais au siècle suivant.

En 1968 comme en 1945 l'enseigne "berliet" est devenue "liberté" son anagramme
En 1968 comme en 1945 l'enseigne "berliet" est devenue "liberté" son anagramme

La soierie lyonnaise continue à exister

Marché des soies 20/11/2014
Marché des soies 20/11/2014

 

Un carré de soie Hermès inspiré par le musée des Tissus de Lyon

«Fleurs et papillons de tissus.» Il est aussi fabriqué dans la région, entre le Rhône et l’Isère. Une petite exposition raconte l’histoire de cette création originale.

Christine Henry fait partie des cinquante dessinateurs qui travaillent en free lance pour Hermès. Il y a deux ans, la prestigieuse maison lui a demandé de concevoir un carré de soie inspiré par les collections du musée des Tissus. Mercredi, il était présenté lors de l’inauguration d’une petite exposition, consacrée à l’histoire de cette création.

« J’habite Avignon, j’ai été émerveillée par ce musée que je ne connaissais pas », raconte l’artiste. Pendant deux jours, elle a découvert les richesses des lieux et finalement retenu « le thème floral présent dans toutes les civilisations ». Les fleurs sont butinées par des papillons, dont les ailes ont la forme d’un éventail, un accessoire qui a traversé toutes les époques.

Après six mois de travail (dessin et mise en couleur), elle a vu « un bruissement ». Tandis que Maximilien Durand, le directeur à l’origine de cette collaboration, a été « ému » en découvrant ce croquis, « qui respecte les originaux tout en leur donnant un souffle nouveau ».

Ce carré, comme tous les autres griffés Hermès, a été fabriqué dans la région : gravure à Bourgoin-Jallieu (Isère) et impression à Pierre-Bénite sur le fameux twill tissé au Grand-Lemps (Isère). Il est décliné en quatorze coloris différents présentés dans l’espace qui surplombe la salle des Tapis. Ces versions côtoient les originaux qui ont inspiré la créatrice (à retrouver comme un jeu de piste) et 28 cadres d’impression suspendus.

Les consommateurs pourront s’offrir ce grand foulard dans les boutiques Hermès (320 €), ou le retrouver, plus tard, dans les collections lyonnaises. En effet, chaque année, la marque lui offre une vingtaine de carrés. « On a la plus belle collection de France », se réjouit Maximilien Durand.   (Isabelle Brione)

 

Contact

pgflacsu@gmail.com

Tél : (33) 06.71.71.53.45