Le beau livre de Jean-Luc de Ochandiano dont j'ai tiré l'essentiel des éléments ci-dessous
Le beau livre de Jean-Luc de Ochandiano dont j'ai tiré l'essentiel des éléments ci-dessous

Lyon italienne

Comme beaucoup de grandes villes, Lyon s'est développée avec d'importants apports de populations et de main d'oeuvre venues d'ailleurs.

Des agriculteurs du Massif central, ardéchois, foréziens, limousins, et de nombreux suisses ou "italiens" (il s'agit d'un anachronisme car l'Italie est une notion récente) sont venus travailler et construire la ville.

Ces émigrations sont différentes par leurs origines, mais aussi selon les périodes par leur nature sociale.

L'apport italien à la Renaissance à Lyon

Lyon est surnommée ville italienne à juste titre. Entre 1460 et 1575, la présence italienne est très marquée dans la ville : les italiens s'illustrent dans la banque, le commerce, la soie, la faïence et l'imprimerie. En 1571, on compte 183 Italiens (84% des étrangers) parmi l'élite des marchands banquiers de la ville. Leur minorité est puissante : ils ne représentent que 5,7% des inscrits au registre des impôts mais 28% de l'impôt sur les maisons !  

La célèbre soierie lyonnaise a des origines italiennes. En 1536, le roi François 1er soutient deux commerçants piémontais actifs à Lyon, Bartolomeo Naris et Guillaume Turquet, dans leur projet de créer la première manufacture de draps de velours de soie. Par lettres patentes, il établit à Lyon la première corporation d'ouvriers en "draps d'or, d'argent et de soye" et les déclare exempts de tout impôt et de tout service de garde ou de milice. Les deux Piémontais font venir du pays de Gênes leurs ouvriers, avec leurs femmes, familles et enfants, qui s'installent à Lyon.

peinture montrant Thomas II de Gadagne présentant Naris et Turquet au Consulat de Lyon
peinture montrant Thomas II de Gadagne présentant Naris et Turquet au Consulat de Lyon


La Révolution française et les guerres napoléoniennes ont joué un rôle essentiel dans le développement du sentiment national italien, dans un territoire jusqu'alors divisé en un grand nombre de principautés et de royaumes rivaux. C'est à cette époque, sous la domination française, que naissent la République cisalpine en 1797, puis la République italienne en 1802 qui se transformera en royaume d'Italie de 1805 à 1814.

En 1802, pour mettre en place la République italienne et en définir la forme constitutionnelle, Napoléon Bonaparte réunit à Lyon, dans l'ancienne chapelle de la Trinité (actuelle chapelle du Lycée Ampère), une "Consulta" extraordinaire. 452 députés italiens rejoignent Lyon et se réunissent du 11 au 26 janvier sous la direction du Premier Consul qui se fera élire, à l'issue de la Consulta, président de la République italienne. 

La Consulta de 1802 à Lyon par le peintre Nicolas-André Monsiau
La Consulta de 1802 à Lyon par le peintre Nicolas-André Monsiau


L'immigration italienne à Lyon au XIXe et au XXe siècles

La « période italienne » que Lyon a connu à la Renaissance a longtemps occulté une histoire commune plus proche, d’une nature différente mais tout aussi intense avec l’arrivée de très nombreux immigrants venus d’outremonts à partir du début du XIXe siècle.

 

A cette époque, Lyon entame une mutation qui l’a transformée en deux siècles en une agglomération repoussant ses limites loin de son centre originel. L’histoire des immigrants italiens est intimement liée au développement de cette capitale régionale qui demande une main d’œuvre toujours plus importante dont une partie, croissante au fil des décennies, est recrutée hors des frontières et particulièrement en Italie.

Au début du XIXe siècle, l’essentiel des migrants italiens à Lyon viennent du nord du Piémont, notamment des vallées alpines, d’autres, moins nombreux, viennent de Lombardie, d’Emilie Romagne, de Vénétie, du Frioul ou de Toscane.

Venus travailler comme plâtriers, mosaïstes, ferblantiers, verriers, musiciens et le plus souvent comme simples ouvriers ou ouvrières d’usine, les Italiens ont marqué de nombreux quartiers de leur présence. Des entreprises et des commerces italiens se sont peu à peu développés, des associations ont vu le jour qui ont permis à ces déracinés de préserver en partie les relations sociales de leur pays d’origine.

En 1848, une flambée xénophobe aboutit au départ de plusieurs milliers d’ouvriers étrangers.

La Seconde République est née après la révolution de février 1848 dans une situation de crise économique violente.

Le chômage est propice au développement d'un fort mouvement qui montre du doigt les étrangers :

"Vous avez à Lyon 15 à 20 mille Savoyards et Piémontais célibataires... je pourrais y joindre les Allemands... lesquels occupent tous les emplois sur les ports, sur les quais, dans les administra- tions, les magasins, même dans les banques .... (article publié le 16 mars dans Le Franc Parleur).


Des cortèges commencent à se former pour manifester contre la présence des étrangers à Lyon.


Arago fait publier le 26 mars l'avis ci-dessus espérant calmer les esprit et qui, au contraire, est reçu comme une approbation 

des manifestations xénophobes et déclenche une chasse aux étrangers.


Arago tente de calmer le mouvement avec ce nouveau placard diffusé le 28 mars. Mais il est trop tard et les étrangers n'ont plus d'autres solutions que de quitter Lyon.


Ceux ci quittent la ville en masse, on estime à trois ou quatre mille les départs autour du 31 mars en cortèges depuis la Place Bellecour.

Les années qui suivent voient la population immigrée prendre à nouveau une part à l'activité économique de la cité. Mais des conflits ont lieu dans de nombreuses professions jusqu'à la forte "réplique" consécutive à l'assassinat de Sadi Carnot par l'anarchiste italien Caserio.

Caserio vient d'assassiner le Président Sadi Carnot
Caserio vient d'assassiner le Président Sadi Carnot

Le 24 juin 1894, le Président de la République Sadi Carnot est assassiné à Lyon par un anarchiste italien Santo Geronimo Caserio.

Il s’en suit trois jours de saccages des commerces et des ateliers italiens…

Des documents de cette année 1894, à gauche le Maire fustige les fauteurs de trouble qui se réclament du patriotisme, ci-dessus, des peintres-plâtriers appellent à défendre leurs salaires compromis par les ouvriers étrangers.


Dès 1880, 60% des étrangers recensés à Lyon sont italiens. Il faudra attendre les années 1960 pour qu’ils ne constituent plus la population étrangère la plus nombreuse de l’agglomération.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cet "Etat numérique" des étrangers établi par le Commissariat de police du quartier de La Guillotière montre que sur 1.693 étrangers comptabilisés, 1.187 sont des italiens.

Des paveurs originaires de Graglia à Lyon vers 1900
Des paveurs originaires de Graglia à Lyon vers 1900

Dans les années de l'après première guerre mondiale il y a une vague d'immigration d'une ampleur inconnue jusque-là. En 1926,  28.500 italiens sont recensés dans le Rhône sur 63.000 étrangers. Ces chiffres ne tiennent pas compte des naturalisés et des enfants devenus français à leur naissance....

Des habitants des baraques de Gerland vers 1930
Des habitants des baraques de Gerland vers 1930

L'habitat est rare. La municipalité tente d'y remédier en construisant des HBM (Habitations à Bon Marché) pour les ouvriers et les employés, mais ces "logements sociaux" sont réservés aux Français. Nombre d'Italiens et d'Espagnols vivent à proximité des HBM dans des baraques faites de planches et de toiles goudronnées..... 

Maçon italien sur un chantier lyonnais vers 1960
Maçon italien sur un chantier lyonnais vers 1960
la boutique du glacier Loretto Nardone vers 1930
la boutique du glacier Loretto Nardone vers 1930
Les archives municipales ont présenté une riche exposition
Les archives municipales ont présenté une riche exposition

Il y a aussi des destins différents :

L’industrie de la soie n’attire pas uniquement les ouvriers italiens. Des « negoziante di seterie » viennent aussi régulièrement à Lyon pour leurs affaires et certains s’y installent. 

Le Baron Jonas Vitta né en 1820 à Casale Monferrato dans une famille juive dont le père a été anobli par le roi Victor-Emmanuel II s’installe aux Brotteaux, 6 cours Morand, à la fin des années 1840 pour s’occuper du commerce de soieries. L’affaire qui semble prospère, et un mariage avec la baronne Hélène Oppenheimer lui permettent de s’orienter ensuite vers la banque. Il déménage au 38 rue de Noailles et devient un ardent collectionneur d’art. Il meurt en 1892, mais son fils Joseph Raphaël Vitta, né à Lyon en 1860, reprend les rênes de l’entreprise. 

L'Hôtel Vitta devenu l'Hôtel du Gouverneur militaire de Lyon
L'Hôtel Vitta devenu l'Hôtel du Gouverneur militaire de Lyon

L’hôtel Vitta, futur Hôtel des Gouverneurs, est édifié dès 1857 par l’architecte Lablatinière à l’initiative de Jonas Vitta sur un terrain libre à l’emplacement du futur n°38 de l’avenue de Noailles (aujourd’hui avenue du maréchal Foch). Pourtant Joseph Vitta, fils de Jonas et d’Hélène Oppenheimer, qui voit le jour le 22 décembre 1860, naît dans l’ancienne résidence des jeunes mariés, cours Morand.


La demeure est décorée somptueusement ; on y trouve des toiles de Rembrandt et Delacroix, et le couple y donne les plus belles réceptions de son temps, convoquant pour les animer la Comédie française et des artistes de grand renom. Malgré ses largesses en faveur de sa patrie d’adoption, ses contributions au paiement de la dette de guerre de 1870, le baron éprouve durement les relents d’antisémitisme et le racisme anti-italien de la haute société lyonnaise de l’époque.

Il meurt dans une certaine indifférence en 1892, et son inhumation au cimetière de la Mouche se déroule en l’absence de toute autorité civile. Il laisse entre autre 150.000 francs or pour les œuvres de bienfaisance, et n’a certainement pas usurpé l’hommage que lui rendra l’abbé Vachet dans ses Biographies lyonnaises : « On peut dire qu’il dépensait modestement sa vie en actes de bienfaisance… »

 

Le Baron Joseph Vitta par Jules Chéret (1908)
Le Baron Joseph Vitta par Jules Chéret (1908)

Son épouse et leur fils aîné Joseph occupe l’hôtel Vitta jusque vers 1895, date à laquelle la baronne se retire dans son appartement des Champs Elysées à Paris.


Son fils, lui, tout en conservant l’appartement de réception à Lyon vit entre Nice et Paris. Il accepte la proposition d’achat de son ami Herriot en 1913, et cède le luxueux logement à la ville qui en fera son Hôtel des Gouverneurs.

 

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