Enfant, j’allais avec mes parents me promener dans Lyon le soir du 8 décembre. Des lumignons éclairaient les fenêtres, les lumières vacillantes, colorées parfois, étaient émouvantes de fragilité, les commerçants avaient fait leurs vitrines de Noël… Les « illuminations » faisaient descendre les lyonnais dans les rues du centre. Nous aussi nous avions installé des verres – des luminions - avec des bougies sur nos fenêtres. Une bonne partie des bougies étaient éteintes, consumées, à notre retour.
Plus tard j’ai participé à quelques tentatives de critique idéologique d’une manifestation qu’avec mes camarades, nous présentions comme liée au « vœu national de 1871 » des réactionnaires contre les communards (qualifiés de « peste rouge » par la droite catholique). Nous avions rencontré bien peu d’échos.
Depuis quelques années le 8 décembre est devenu la « fête des lumières »
mélange d’événement médiatique, touristique et commercial… dans son genre assez réussi.
L’article de Gérard Corneloup dans le « Dictionnaire historique de Lyon » fait le point sur le 8 décembre ; il emprunte beaucoup à "l'Histoire du Huit-Décembre" de Jérôme Caviglia.
Date phare, chaque année, dans la vie lyonnaise, elle célèbre l’installation, le 8 décembre 1852, de la statue couronnant la chapelle de Fourvière, ainsi que les illuminations qui clôturèrent
cette journée, météorologiquement mouvementée.
Elle n’a donc rien à voir avec une quelconque épidémie de peste ou d’autre mal, ayant alors frappé la cité, sinon de très, très loin, via le 8 septembre, jour rappelant, pour sa part, le vœu des
échevins lyonnais, décidant en 1643, d’ailleurs pour la quatrième fois, de placer leur cité sous la protection de la Vierge et de processionner chaque année, tous les 8 septembre. Cela en raison
d’une menace d’épidémie que l’on suppose désormais, de surcroît, avoir été le scorbut. Une date clé de la foi lyonnaise à travers le culte marial, par tradition très vivace dans la cité, donc,
devenu également – surtout ? -, à la fin du 20e siècle,
une opération festive et mercantile, sous le nom de « Fête des lumières », qui dure d’ailleurs désormais plusieurs jours.
Au milieu du 19e siècle, il convient de reconstruire le clocher de la chapelle de Fourvière, élevée par Ferdinand Delamonce un siècle auparavant, déjà victime d’un incendie et qui menace de s’écrouler. En 1849, il faut se résoudre à le raser, au grand dam des catholiques lyonnais.
Les autorités ecclésiastiques décident d’en élever un nouveau
et le choix de l’archevêque Maurice de Bonald se porte sur le projet de l’architecte Alphonse Duboys, lequel a imaginé une sorte de dôme allongé et très sculpté – que d’aucuns vont trouver très
laid ! – sur lequel sera placée une statue monumentale de la Vierge Marie, en bronze doré, commandée au sculpteur Joseph Fabisch.
L’installation est prévue le 8 septembre 1852, fête de la Nativité de la Vierge et célébration du vœu des échevins. Des caprices météorologiques vont en décider autrement : le débordement
subit du Rhône et de la Saône inonde l’atelier des fondeurs Lanfrey et Constant Baud, situé dans le quartier Perrache, et la statue, achevée, se retrouve sous les eaux. Il faut choisir une date
de report et l’on se décide pour le 8 décembre suivant, autre jour symbolique, celui de la conception de la Vierge. Le clergé prévoit toute une série de manifestations pour ce jour-là, un
mercredi, dont plusieurs messes à partir de cinq heures du matin, des processions, la bénédiction épiscopale… Le soir – selon une pratique alors couramment employée en vue de célébrer des
événements, officiels ou non, tels victoire militaire, anniversaire royal, visite princière… - , on illuminera le clocher avec des feux de Bengale et le chef de la Vierge sera orné d’une couronne
de fusées bleues et blanches.
Certains catholiques prévoient, comme le signalent les journaux, de
leur côté, d’illuminer leurs fenêtres avec des bougies et verres de couleur commandés à un lampiste lyonnais, le sieur Arban, qui en profite pour faire de la réclame dans la bonne presse
lyonnaise. Les cérémonies commencent plutôt bien, mais la météo, décidément peu mariale, fait à nouveau des siennes : un orage éclate, la bénédiction a lieu sous la pluie et les autorités
religieuses décident d’annuler les manifestations nocturnes prévues. Or, à la tombée de la nuit, le beau temps est revenu, malgré un léger brouillard, et les catholiques lyonnais décident, de
plus en plus nombreux, d’illuminer sinon de pavoiser leurs demeures. Le phénomène s’étend dans la ville, à la grande émotion du cardinal de Bonald, qui donne ordre d’illuminer l’archevêché. Le
contrordre est donné par les cloches de la cathédrale Saint-Jean… « Les lyonnais sont dans la rue et la légende est en
route » (Jérôme Caviglia). Les illuminations sont nées,
anticipant de deux ans la proclamation par Rome du dogme de l’Immaculée Conception, même si les cérémonies officielles sont, cette année-là, reportées au 12 décembre, un dimanche… et doivent
compter avec un vent insolent.
Conclusion : « C’est bel et bien une simple inauguration architecturale qui est la source
de la tradition pluri-séculaire… Nous pouvons donc considérer qu’en 1852, le 8 décembre est une célébration religieuse, directement liée à la longue tradition mariale lyonnaise et sa
matérialisation dans l’architecture de Fourvière. La conjoncture événementielle particulière qui l’a vu naître a contribué à en définir les notions fondatrices. Même si certains traits
structurels de la fête sont encore attestés aujourd’hui, sa nature semble avoir été largement modifiée au fil des âges… Les passions idéologiques, très profondes et pourvoyeuses d’instabilité
sociale, vont jouer un rôle primordial dans la prise d’importance de la fête, sur tous les plans » (Jérôme Caviglia).
Sous la Troisième République, les relations se tendent avec un Etat de plus en plus laïc. En 1884, sur ordre des service de la Préfecture, les débitants de tabac sont tenus de conserver leurs
devantures dans la plus neutre et totale obscurité, au soir du 8 décembre. Des rapports de police signalent les fonctionnaires, militaires, magistrats présents à la procession. Les édifices
publics ne sont plus illuminés, à commencer par l’Hôtel de Ville. Face à la presse cléricale, évidemment laudative en la matière, la presse laïque, comme Le Progrès, Lyon-Républicain, le
très anticlérical Petit Lyonnais, passe quasiment le Huit-Décembre sous silence ou en raille la piété affichée avec ostentation et signale volontiers les lazzi, voir les injures, qui ont
accompagné les festivités. En 1878, Lyon-Républicain s’émeut du fait que le Palais de Justice et le lycée municipal (aujourd’hui Lycée Ampère) aient été illuminés. En 1885, la municipalité
refuse d’accorder l’habituel service de sécurité, ce qui lui vaut un texte vengeur signé par le combatif Joannès Blanchon dans L’Echo de Fourvière.
Le tournant du siècle exacerbe encore un peu plus les choses. Des manifestants anticléricaux, souvent très jeunes – parfois entre quinze et vingt ans -, conspuent les participants aux processions, désormais cantonnées dans les seuls sites religieux. Au soir du 8 décembre 1903, le drame éclate. En signe de protestation contre les illuminations, une manifestation anticléricale se forme place Bellecour. « Une bande de trois mille individus au moins… Ils hurlent L’Internationale et La Carmagnole » affirme Le Salut public, qui signale l’absence des forces de l’ordre – huit cents gardiens de la paix sont requis ailleurs par la grève des teinturiers – alors que Le Nouvelliste évoque « les apaches de la libre pensée ». Par le pont du Change, les manifestants se dirigent vers Fourvière, conspuant les maisons illuminées et brisant lampions et vitres aux fenêtres des couvents. Place Saint-Jean, le cortège se heurte à la foule des fidèles. On échange des injures – Lyon-Républicain parle de « gymnastique des poumons »… Cuirassiers et gendarmes chargent. La foule reflue dans les rues adjacentes. Avenue de l’Archevêché, près du funiculaire, un blessé reste sur le carreau : il s’agit d’un négociant en soieries de cinquante-six ans, Etienne Boisson, ancien zouave pontifical, père de cinq enfants, habitant cours d’Herbouville et président du Comité de défense du culte de Saint-Clair. Les troubles s’étendent…
Les illuminations pleines et entières ne reprennent qu’en 1949, amorçant un glissement vers un mélange des genres, donnant une place de plus en plus importante à l’opération commerciale en
contrepoint de la manifestation religieuse. Déjà, en décembre 1880, Le Courrier de Lyon déplorait « l’usage dégénéré, on danse, on rit, comme aux
vogues ».
La fin du 20e siècle voit le phénomène s’amplifier, avec une véritable récupération par les municipalités successives de ce qui est désormais qualifié de « Fête des lumières », dure plusieurs jours, reçoit les télévisions nationales, le Téléthon, se dote de moyens financiers considérables et d’une armada de techniciens de l’audiovisuel qui investissent divers lieux de la ville, dans une débauche de watts et de décibels. Les visiteurs affluent, pour ce qui est devenu à la fois une vitrine touristique, une opération de communication, un événement médiatique et une kermesse commerciale.